
Dark data, déchets électroniques, empreinte carbone croissante des centres de données… autant de coûts cachés du numérique. L’impact de la transformation digitale sur la planète est méconnu et constitue un sujet préoccupant.
Une question : Combien de téléphones et d’appareils anciens et inutilisés avez-vous chez vous ? Selon une enquête de la Royal Society of Chemistry britannique, 45 % des foyers possèdent entre deux et cinq appareils électroniques inutilisés dans leurs tiroirs. Et ils risquent d’y rester longtemps.
Ce que beaucoup de gens ne réalisent pas, c’est que si ces appareils et gadgets n’ont pas une grande valeur pour leur propriétaire, ils ont une valeur énorme pour l’environnement. En effet, ils contiennent un grand nombre de métaux précieux. Leur recyclage permettrait d’éviter l’extraction de ressources rares qui a un impact écologique et humain considérable. Savez-vous par exemple que, selon le Wuppertal Institut, un smartphone de 120 grammes nécessite 70 métaux et matériaux différents et 70 kg de matières ?
“Ces appareils sont constitués de nombreuses ressources qui peuvent être utilisées dans la production de nouveaux appareils électroniques ou d’autres équipements, tels que des éoliennes, des batteries de voitures électriques ou des panneaux solaires”, a déclaré Magdalena Charytanowicz du Forum international des déchets d’équipements électriques et électroniques (DEEE). “Tous ces éléments sont cruciaux pour la transition verte et numérique vers des sociétés à faible émission de carbone.” Et ils sont aujourd’hui très peu récupérés.
« Dark data »
La grande quantité de déchets électroniques n’est qu’un aspect des défis environnementaux liés aux médias numériques. Un autre problème majeur est l’augmentation exponentielle de la “dark data”, c’est-à-dire des images, des fichiers et des documents stockés dans des centres de données du monde entier, qui ne seront jamais vus ou utilisés à nouveau.
Comme il est facile de stocker des données gratuitement ou à un coût très faible, de nombreuses entreprises et personnes vont tout simplement tout conserver. Qu’il s’agisse de présentations qui ne seront jamais réutilisées, d’images et de vidéos identiques stockées automatiquement dans iCloud, ou de données indésirables générées par des capteurs industriels, il y a beaucoup de fichiers redondants. D’après le rapport State of Dark Data de TRUE Global Research, les « dark data » d’une organisation type s’élèvent à 55 %, et un tiers des organisations détiennent plus de 75 % de « dark data ».
Ce sujet n’est pas anodin pour les choix du consommateur au quotidien. On sait par exemple que, du point de vue écologique, le numérique est pertinent pour une information dont la durée d’usage doit être courte. Mais qu’en est-il en vérité, si les informations que l’on pense utiliser rapidement sont en réalité stockées sur des serveurs d’entreprises, ou dans le cache de nos appareils électroniques ? Le consommateur qui pensera avoir bien agi aura finalement fait malgré lui un choix nuisible pour l’environnement.
Une empreinte carbone en croissance constante
Le problème vient de la quantité d’énergie nécessaire pour stocker toutes ces informations. Selon un rapport du Shift Project, l’empreinte carbone de nos gadgets, de l’internet et des systèmes qui les soutiennent représente près de 4 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre. Une quantité similaire à celle produite par l’industrie aérienne… Et ces émissions devraient doubler d’ici à 2025.
“Ce que les gouvernements n’ont pas examiné jusqu’à présent, c’est l’empreinte carbone de la numérisation”, explique Tom Jackson, professeur à l’université de Loughborough. “C’est comme l’analogie de l’iceberg : il y a maintenant de gros pollueurs qui se trouvent au sommet de l’iceberg, mais sous la surface se cachent de gros problèmes que nous ne voyons tout simplement pas encore.” Une loi pour un numérique responsable a bien été votée en France en novembre 2021, qui prévoit la mise en place d’un observatoire des impacts environnementaux du numérique. Mais sa mise en œuvre par l’ADEME, qui permettrait de mieux quantifier les coûts cachés du numérique, n’est pas encore à l’ordre du jour.
Et il n’y aura certainement pas de ralentissement dans la quantité de données générées. En 2022, le monde devrait générer 97 zettaoctets (97 trillions de gigaoctets) de données. En 2025, ce chiffre pourrait presque doubler pour atteindre 181 zettaoctets. Il est difficile d’imaginer de tels chiffres, alors pensez à la taille du bâtiment utilisé pour contenir de telles quantités de données. Situé à Langfang, en Chine, Range International Information Group est le plus grand centre de données du monde, réparti sur l’équivalent de 110 terrains de football. Ces centres de données ont des besoins considérables en énergie, pour refroidir en continu des équipements électroniques qui chauffent. Une chroniqueuse sur France Info les compare très justement à des frigos remplis de radiateurs.
Le nouveau plastique
Le dark data, un déchet sauvage du numérique ? Le rapprochement est facile, tant cette pollution est partout, sans que l’utilisateur en ait nécessairement conscience… “Nous devons repenser la quantité de données que génère notre société”, déclare Tom Jackson. “Nous devons y réfléchir de la même manière que nous avons réfléchi au plastique ; avons-nous vraiment besoin de toutes ces applications et appareils qui génèrent et stockent toutes ces données ?” Une prise de conscience des coûts cachés du numérique pour la planète est indispensable.
Sources :
- https://www.statista.com/statistics/871513/worldwide-data-created/
- https://www.bbc.com/future/article/20200305-why-your-internet-habits-are-not-as-clean-as-you-think
- https://theconversation.com/dark-data-is-killing-the-planet-we-need-digital-decarbonisation-190423