
Cet été nous l’a encore prouvé : le changement climatique est un enjeu majeur et qui s’accélère au point d’être ressenti dans le quotidien des Français. Face à la nécessaire transition écologique et énergétique, l’Europe s’est fixé l’objectif de réduire de 55% ses émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030 (par rapport à l’année 1990), un cap qui, pour être atteint, devra embarquer tous les secteurs économiques. L’industrie papetière est bien entendue concernée et œuvre déjà depuis plusieurs années à la transformation de son approvisionnement énergétique en développant l’usage des énergies renouvelables.
Dans son cas particulier, c’est la production de chaleur nécessaire au séchage de la pâte à papier – qu’elle soit vierge ou recyclée – qui est la plus consommatrice. Cette étape étant incontournable, tant pour le papier que pour le carton, l’industrie papetière française adapte ses sites de productions pour y intégrer différentes solutions en énergies renouvelables.
Le mix énergétique français, moins carboné que celui de ses voisins
La France est d’ores et déjà mieux-disante que ses voisins européens en matière d’électricité décarbonée avec 92% de son électricité issue du nucléaire et des énergies renouvelables (éolien, solaire, hydraulique et biomasse) dans l’ensemble de son mix énergétique. Les industries papetières en Espagne, Italie et Allemagne ont, elles, majoritairement recours au gaz pour leur production électrique, une énergie fossile plus émettrice.
L’industrie papetière s’appuie sur plusieurs énergies renouvelables pour accélérer sa décarbonation
Mais ce qui est moins connu, c’est la part de production de chaleur issue d’énergie décarbonée, qui est considérable et qui n’a cessé d’augmenter depuis 15 ans : elle est passée de 49,2% en 2005 à 62,5% en 2019 pour l’industrie papetière française (source Copacel). En Europe, cette filière est l’une des plus avancée dans sa décarbonation, une industrie à l’impact modéré avec 0,8% des émissions globales des GES en Europe (source agence européenne de l’environnement, 2020). Cette avancée du secteur s’explique notamment par un recours de plus en plus fréquent à la production d’énergie issue de la biomasse, au biogaz ou à des solutions apparentées. Pour mémoire, la biomasse est la part biodégradable de produits, déchets et résidus issus de l’agriculture, de déchets organiques. La biomasse permet de générer de l’énergie renouvelable sous forme d’électricité ou de la chaleur – ou un couplage des deux (grâce à la cogénération). Pour cela, on procède soit par combustion de matière (par exemple, le site papetier utilisera des résidus de bois de la filière forestière pour produire de l’énergie), soit par méthanisation (la fermentation de déchets organiques permet la génération de biogaz). Par extension, certains déchets industriels peuvent être utilisés de la même façon, dans une logique de boucle circulaire vertueuse.
Valoriser les déchets et résidus de la filière : une logique circulaire
L’industrie papetière, dans une logique d’économie circulaire, a identifié et exploite 3 types de gisements énergétiques issus des déchets et résidus de sa filière.
1/ Les résidus et déchets de la filière bois, gisement énergétique en biomasse.
La filière bois génère des résidus, les sous-produits des scieries non utilisables ni pour la pâte à papier ni pour le bois composite (écorce…), ainsi que des déchets en fin de vie issus de l’habitat (fenêtres, meubles, panneaux de bois…). Cette matière résiduelle offre une biomasse dont la combustion permet la production d’énergie ou de chaleur. C’est le choix qu’a fait Norske Skog à Golbey dans les Vosges. Le groupe papetier norvégien y investit en effet 200 millions d’euros pour la création d’une chaufferie en biomasse alimentée principalement par du bois de recyclage, qui sera la plus grande existante en France. Sa mise en service courant 2024 assurera la production des 700Gwh de chaleur nécessaire au site, qui jusqu’alors recourait au gaz. La production excédentaire de 200GWh de chaleur sera transformée via une turbine et un alternateur en électricité qui alimentera le réseau (l’équivalent de la consommation de 13000 foyers) : un bel exemple d’écologie territoriale ! Ce projet est un modèle industriel qui sera amené à se développer dans les années à venir puisqu’il rend le site de production énergétiquement autonome tout en réduisant sa dépendance aux énergies fossiles. Dans la production de papier vierge également, une partie des fibres du bois qui ne peuvent être utilisées pour produire le papier génèrent de l’énergie dans le process même de production, permettant d’atteindre une empreinte carbone remarquable.
2/ La combustion de résidus industriels (les CSR : Combustibles Solides de Récupération)
Les sites qui assurent le recyclage des papiers et cartons récupérés séparent les fibres qui vont être recyclées d’un côté, et de l’autre des résidus tels que des pelliculages plastique, des fenêtres d’enveloppe, des erreurs de tri… qui peuvent avoir une valeur énergétique. Préparés sous forme de Combustibles solides de récupération (les CSR), ils peuvent générer de l’énergie en substitution d’un combustible fossile. Des projets se développent, ou fonctionnent déjà sur certains sites. C’est le cas de Blue Paper à Strasbourg qui produit du papier recyclé pour carton ondulé. Blue Paper a investi 25 millions d’euros en 2017 et bénéficié du soutien financier de l’ADEME pour se doter d’une chaudière alimentée par des CSR. En service depuis 2019, cette unité de production de chaleur a permis à l’usine de diminuer de 80% sa consommation de gaz. (source l’usine nouvelle). Le projet a franchi une étape supplémentaire en 2021 en alimentant un réseau de chaleur urbaine grâce à sa production excédentaire.
3/ La génération de biogaz à partir de résidus de production de Papiers-Cartons
Lors de la fabrication de papier ou de carton, le processus de production génère des boues cellulosiques. Leur traitement par méthanisation (dégradation par fermentation) permet la génération de biogaz qui se substitue aujourd’hui de 5 à 6% au gaz d’origine fossile. Dans le même temps, ces boues d’effluents traitées permettent de réduire l’impact de la filière sur les stations d’épuration.
Des projets prometteurs soutenus par l’ADEME
Face à ses importants besoins énergétiques, le secteur papetier est à la fois l’un des plus actifs mais aussi l’un des plus avancés dans l’industrie sur ces types de projets faisant appel à la biomasse ou à des solutions d’écologie industrielle. Le secteur répond présent aux appels à projet de l’ADEME qui en soutient actuellement 2 à 3 par an. Pour ce faire, les papetiers s’associent à des énergéticiens et des acteurs territoriaux afin de construire des solutions exemplaires qui permettent à la fois la valorisation de ressources locales et la diminution des gaz à effet de serre indispensable pour contenir le réchauffement climatique. Ces choix industriels s’inscrivent également dans une maîtrise des coûts de production et d’autonomie territoriale. Un modèle vertueux que le secteur entend bien développer : il a publié au début de l’année sa feuille de route pour accélérer sa décarbonation avec un potentiel de réduction de 39 % en 2030 par rapport à 2015 !