
L’actualité récente nous a de nouveau permis de juger des possibilités offertes par le numérique au travers du développement, à une vitesse ahurissante, de l’intelligence artificielle. Nombreux ont été les journalistes à s’extasier sur les possibilités incroyables, et les progrès fulgurants, de ces robots informatiques générant des textes ou des images plus vrais que nature. Avec un peu de décalage toutefois, des voix dissonantes se sont fait entendre, et pas des moindres.
Pour les moins avertis, rappelons quelques bases. Derrière cette magie apparente se cache certes des algorithmes extrêmement complexes. Mais fondamentalement, l’intelligence artificielle (IA pour les intimes) repose sur des bases de données où ces fameux robots vont rechercher des informations et les assembler – au prix d’un mécanisme d’apprentissage, donc, qui suppose d’avoir préalablement constitué une base de données bien remplie. Plutôt qu’une tête bien faite, il sera donc plutôt question ici de tête bien pleine… ce qui n’est pas sans conséquences sociétales ou écologiques.
De multiples risques sociétaux
Tout d’abord, la performance d’une IA reposant sur une base de données bien remplie, on a assisté à une course de vitesse pour récupérer un maximum d’information, dans des conditions peu reluisantes. Il y a quelques années, le chercheur Andrea Casilli nous alertait déjà sur les travailleurs du clic. Chargés de reconnaître une image par exemple, ces travailleurs alimentaient ces fameuses bases de données en étant rémunérés au clic, travail répétitif réalisé dans des conditions particulièrement précaires. La Finlande mettait même les détenus de ses prisons à contribution.
Mais, de même que des robots de recherche peuvent parcourir le web pour référencer des pages internet, d’autres robots sont capables de balayer internet pour y aspirer les informations qui seront utiles à l’alimentation de ces bases de données. Et le droit d’auteur, me demanderez-vous ? Eh bien il s’applique, mais comment identifier que votre production a été aspirée, stockée, et remoulinée par un site internet que vous ne connaissez pas ? Une situation qui ne devrait pas être, mais contre laquelle il est bien difficile d’agir – protection dérisoire, le Syndicat national de l’édition a ainsi préparé une clause type à ajouter aux CGU de votre site internet pour s’opposer à la fouille de textes et de données par les intelligences artificielles.
Autre risque sociétal, la création de fake news. Il est bien aisé, aujourd’hui, de générer un texte ou une image et de les propulser sur les réseaux sociaux au risque de réécrire l’histoire. Saviez-vous qu’Elvis était vivant et conseillait en secret Emmanuel Macron ? Quelqu’un sera bien capable de vous montrer la photo qui le prouve… Au-delà de la blague, le risque est grand de pervertir le débat public, et de souffler sur les braises d’un complotisme qui a déjà montré que les actions menées par ses adeptes ne sont en rien artificielles.
Vers une extinction de l’humanité ?
L’usage de cette IA suscite évidemment des craintes, et entraîne déjà des conséquences sur différents métiers : illustrateurs pour la presse ou auteurs, par exemple, se trouvent remplacés par ces robots générateurs de contenus moins chers et moins exigeants. Plus largement, un appel récent a alerté sur rien moins que la possible extinction de l’humanité. Le risque sociétal ultime… d’autant que cet appel n’a pas été lancé par n’importe qui. Parmi les signataires, on retrouve un des créateurs de ChatGPT, l’IA la plus en vue du moment, et de multiples experts du sujet. Peut-être devrions-nous les écouter ?
Risques sur l’environnement
Dans le domaine d’action de Two Sides, l’environnement, l’IA pose aussi question. Chaque requête réalisée pour générer un texte ou une image suppose d’aller fouiller dans une base de données, située sur un ou des serveurs quelque part sur terre. Cela nécessite des ressources, qui sont d’autant plus importantes que cette base est volumineuse et les algorithmes complexes.
C’est ce qui ressort d’une étude menée par les universités du Colorado Riverside et d’Arlington Texas : « Microsoft, a ainsi expliqué que son dernier superordinateur contient 10.000 cartes graphiques et plus de 285.000 cœurs de processeurs. Une telle débauche matérielle requiert d’énormes quantités d’eau afin de refroidir le centre de données de Microsoft, situé aux Etats-Unis – trois fois plus si l’entreprise a choisi son centre basé en Asie pour préparer le modèle, car celui-ci consomme davantage d’énergie. Les chercheurs ont estimé que l’entraînement de GPT-3 aurait consommé 700 mètres cubes d’eau, tandis que 25 à 50 questions échangées avec le chatbot ChatGPT nécessitent un demi-litre d’eau. Les modèles plus récents, comme GPT-4, seraient encore plus gourmands en eau. »
Cet état de fait pose à nouveau la question de la régulation du numérique. Alors que nous allons manquer d’eau, doit-on laisser n’importe qui utiliser de tels outils pour rigoler ? Certains nous diront que cela illustre bien en quoi le numérique offre des possibilités qui vont au-delà de celles du papier. Nous leur répondrons que, s’agissant de la possible extinction de l’humanité, nous nous en passerons volontiers.