
Deux décrets récents encadrent la réalisation d’une expérimentation prévue par la loi climat et résilience : différents territoires testeront un dispositif « Oui-Pub » selon lequel les prospectus ne pourront être distribués que dans les boîtes aux lettres comportant une autorisation explicite d’en recevoir. Une telle expérimentation mobilisera des ressources pendant 3 ans, et affectera les entreprises du papier et de l’imprimé. Alors que la loi AGEC a déjà renforcé le cadre du « Stop-Pub », devait-on engager cette expérimentation quand une récente étude de l’ADEME nous donne déjà les réponses que l’on recherche ?
De fait, l’ADEME a réalisé et publié en 2021 une intéressante enquête auprès des particuliers qui permet de comprendre leurs perceptions, leurs pratiques et leurs préférences en matière de publicité papier. A bien y regarder, cette enquête répond aux questions qui doivent être posées par l’expérimentation « Oui-Pub ».
Faut-il lancer l’expérimentation Oui-Pub si les résultats sont connus ?
Ainsi, selon cette étude,
- Le Stop-Pub répond aux attentes des particuliers : plus de 80% des porteurs de Stop-Pub se déclarent globalement satisfaits de l’impact du Stop-Pub pour réduire la quantité d’imprimés publicitaires sans adresse reçus en boîte aux lettres.
- Le Stop-Pub est l’outil choisi par ceux souhaitant limiter leur exposition à la publicité : un Stop-Pub est apposé sur la BAL de 17% des particuliers interrogés et son taux d’apposition potentiel est estimé à 30% environ.
- A l’inverse 77% de la population n’appose pas le Stop-Pub sur sa boîte aux-lettres, dont seuls 14% déclarent souhaiter en apposer un à l’avenir. 74% ne souhaitent pas apposer de mention.
- Dans la même logique, à choisir, 2 répondants sur 3 préfèrent recevoir des imprimés publicitaires sans adresse, quitte à en recevoir trop, pour ne pas manquer ceux susceptibles de les intéresser. A l’inverse, seul 1 répondant sur 3, soit 33% de la population, préfère ne pas recevoir de publicité, quitte à rater un prospectus qui pourrait l’intéresser.
- Les imprimés publicitaires sans adresse présentent un intérêt et une utilité pour une majorité de répondants : 67% des répondants déclarent que les imprimés publicitaires sans adresse contribuent à améliorer leurs choix de consommation grâce à une meilleure information et 63% qu’ils contribuent à mieux maîtriser leur budget. Ce sont les 2 premiers items cités par les répondants.
Il ressort de cette enquête que le taux d’apposition actuel du Stop-Pub est inférieur à 20%, et que son potentiel serait de 30%. Ces chiffres établissent clairement, en abordant le sujet sous plusieurs angles, qu’une part minoritaire de la population souhaite réduire son exposition à l’imprimé publicitaire et trouve dans le Stop-Pub l’outil répondant à son besoin. En introduisant un dispositif inversé du type « Oui-Pub », on forcera donc 70% de la population à modifier ses habitudes : pourquoi contraindre 70% des habitants, plutôt que de renforcer le Stop-Pub auprès des 10% de la population qui se déclarent potentiellement intéressés ?
D’un point de vue opérationnel, cette enquête est donc très utile pour établir… que l’expérimentation est inutile : le plus simple pour répondre à l’attente des consommateurs est de renforcer le Stop-Pub, comme le prévoit la loi AGEC publiée en 2020, soit 18 mois avant la loi Climat. Ne pas laisser le temps à une loi toute neuve de produire ses effets avant de voter une nouvelle loi qui envisage une expérimentation pour tout changer, alors que l’on a déjà les réponses que l’on prétend chercher : les amateurs penseront immanquablement aux Shadocks.
Un bilan environnemental et social défavorable… et déjà prévisible.
Cette expérimentation est issue, nous dit-on, des propositions de la Convention citoyenne pour le climat. A bien y regarder, ses membres ont été exposés aux points de vue d’organismes publics, associatifs ou académiques sur la publicité, mais ils n’ont rencontré aucun acteur économique ou expert du secteur concerné. C’est bien dommage, car leur regard aurait pu corriger certains biais de perception.
Ainsi, l’étude de l’ADEME précitée nous fournit une information intéressante : les 3 principaux médias cités selon la quantité de messages publicitaires auxquels le répondant est exposé sont la télévision, internet, et la radio, tous cités par au moins 50% de la population (voire 75% pour internet). Le prospectus en boîte aux lettres vient certes en quatrième position, mais avec un net décrochage, cité par 35% des répondants. Si le législateur et les citoyens de la Convention avaient véritablement voulu réduire l’exposition à la publicité et son impact carbone, pourquoi ne pas avoir ciblé les média les plus concernés ?
En pratique, cibler la publicité papier ne réduira pas la publicité. Les annonceurs se reporteront vers d’autres moyens de communication, notamment numériques. Cette évidence pouvait être énoncée bien avant le vote de la loi, elle se vérifie après qu’elle a été votée : les “Start-ups” sont dans les starting blocks pour proposer des « solutions » offrant plus de pollution digitale, et plus de capture de données personnelles.
Une étude ACV réalisée par La Poste, tenant compte des moyens numériques effectivement mis en œuvre par la publicité numérique (videos en streaming, etc.) a aussi établi que le bilan environnemental du papier était meilleur que des scénarios équivalents de publicité numérique, notamment sur le climat… précisément l’objet de la loi ayant mis en place l’expérimentation « Oui-pub ». Et ce même si, pour le citoyen au quotidien, un prospectus à la poubelle est plus visible que la pollution digitale.
D’un point de vue social, Culture Papier nous rappelle également le nombre considérable d’emplois, près de 60 000, souvent d’insertion et non délocalisables, que représente l’imprimé publicitaire, et son lien avec l’ensemble de l’écosystème du papier graphique (et notamment de la presse écrite). Et nous rappelle que le papier de la publicité est aussi celui de la presse écrite, qui ne pourra plus supporter les coûts de production, si une partie des usages est interdite. Envoyé Spécial nous faisait également prendre conscience de l’importance de la publicité papier pour une population défavorisée, peu représentée parmi les profils des parlementaires.
Tout ceci est parfaitement résumé dans un livre blanc publié par Culture Papier : que ce soit d’un point de vue opérationnel, économique, social ou environnemental, l’expérimentation aura des conséquences négatives, ou contraires à l’objectif recherché. Et particulièrement du point de vue des émissions de gaz à effet de serre que la loi climat vise précisément à réduire : un comble !
On souhaitera donc bonne route à cette expérimentation, en regrettant que les ressources qu’elle va mobiliser n’aient pas plutôt été utilisées pour d’autres questions dont les réponses… ne sont pas déjà connues.
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