
L’AFP fait aujourd’hui le point sur une mesure de la loi AGEC, dans un article opportunément titré “Données personnelles : qui va profiter de la “dématérialisation” des tickets de caisse ?”
La récente loi relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire, dite AGEC, prévoit en effet que, sauf demande contraire du client, l’impression et la distribution systématiques de tickets de caisse, tickets de carte bleue ou encore de bons d’achats est interdite à partir de janvier 2023. Cette mesure est un nouvel exemple de décision prise dans la précipitation (à la faveur d’un amendement à peine discuté, et donc sans étude d’impact) en faisant appel aux idées reçues concernant le papier. Mais elle reflète aussi un travers qui s’est accentué ces dernières années à la faveur des lois successives concernant l’environnement et l’économie circulaire, qui limitent leur approche environnementale à une vision simpliste de notre consommation centrée sur la seule production de déchet. Pourtant, cette mesure aura des effets sur l’environnement contraires à l’objectif recherché, tout en impactant lourdement des entreprises et en mettant le consommateur dans l’embarras.
Une mesure inadaptée à la vie quotidienne
De fait, il semble de bon sens qu’un consommateur puisse refuser un ticket de caisse dont il n’aurait pas l’usage. Mais, dans la pratique, chacun a déjà fait face à la nécessité, dans sa vie quotidienne, de disposer d’un justificatif de paiement. Vérification du prix, note de frais, justificatif d’assurance, tickets conservés à titre de garantie ou pour un échange ultérieur… autant de situations que la loi ignore en forçant le consommateur à faire une demande expresse. Combien oublieront et se trouveront dans la situation embarrassante de ne pouvoir justifier d’un vol auprès de leur assurance, ou de ne pouvoir se faire rembourser un repas professionnel ?
En pratique toujours, la mise en œuvre de cette mesure a déjà donné des idées à différentes enseignes, qui ont pour certaines annoncé que « pour les Clients porteurs de la carte fidélité qui en font la demande, le traditionnel ticket de caisse papier est remplacé par un ticket dématérialisé, accessible en ligne ». Ainsi, une mesure prise dans un objectif de développement durable et censément pour laisser le choix au consommateur, se transforme en une opportunité pour des marques de capturer les données personnelles d’un client, probablement sans qu’il en ait même conscience. Les Strat-ups ne s’y sont pas trompées, qui sont dans les starting blocks pour proposer des “solutions” permettant de capter les données personnelles.
Une mesure économiquement néfaste pour les entreprises du secteur
Évidemment, une telle mesure ne sera pas économiquement indolore. Des entreprises de la filière graphique seront directement impactées par le choix du législateur, fait dans la précipitation. Face au ticket papier, produit, transformé et distribué par des PME créant de l’activité économique en région, la “dématérialisation” alternative est en effet souvent portée par des start-ups ou des grands groupes du numérique qui contribuent en réalité très peu à la création de richesse nationale.
Une mesure prise pour protéger l’environnement et qui sera source de pollutions
Si encore cette mesure était prise pour de bonnes raisons environnementales… Pourtant, la tellement mal nommée « dématérialisation » a des effets contraires sur l’environnement dont la réalité est de plus en plus évidente – faut-il en rajouter par une nouvelle mesure prise en dépit du bon sens écologique ?
Les quantités de papier utilisées pour la production de tickets de caisse présentées ces dernières années dans la presse sont largement surestimées. Les tickets de caisse représentent en réalité moins de 0,5% du papier utilisé en France. En tenant compte des tickets de caisse indispensables comme preuves d’achats (échanges, garanties, assurance, notes de frais…) ou que le client souhaite conserver, il est évident que les quantités des tickets de caisse potentiellement évitées ne peuvent en aucun cas représenter des quantités considérables, bien qu’elles impactent lourdement les entreprises du secteur. En s’attaquant à un symbole, le législateur ignore ainsi les véritables enjeux environnementaux, notamment de la pollution numérique.
Le papier est un matériau provenant du bois ou du recyclage. Le bois utilisé par l’industrie européenne du papier provient essentiellement de sous-produits de la filière bois et à 90% d’Europe, où la surface de forêt est en croissance. Si la pâte à papier peut parfois provenir de plantations, ces plantations sont faites à dessin, comme d’autres plantations agricoles, et permettent précisément de ne pas solliciter les forêts naturelles. On rappellera aussi que la déforestation est aujourd’hui essentiellement due à l’élevage ou la production de soja et d’huile de palme et que les systèmes de certification comme PEFC et FSC sont prépondérants dans l’approvisionnement de l’industrie papetière. Ces certifications sont d’ailleurs généralement des exigences pour les approvisionnements en papier de grands groupes, tels que les enseignes de la grande distribution. A l‘inverse, le numérique n’a rien de « dématérialisé ». Smartphones, ordinateurs, câbles, serveurs… autant d’équipement bien réels, très mal recyclés, sources de consommation de métaux rares et non renouvelables, d’énergie, d’émissions de gaz à effet de serre… En pratique, là encore, la conservation des données d’achat d’un consommateur sur des serveurs, pour une durée indéfinie, correspond précisément à la situation d’un usage long de l’information pour lequel les études environnementales réalisées par l’ADEME ou l’institut Quantis pour La Poste nous disent qu’il vaut mieux, à choisir,… préférer le papier.
L’AFP nous le rappelle d’ailleurs : “Selon le collectif GreenIT, un ticket dématérialisé rejetterait dans l’atmosphère 2 grammes d’équivalent CO2 de plus qu’un ticket imprimé, car sa transmission et son stockage dans un centre de données sont coûteux en énergie.”
Et si le législateur évitait les idées reçues ?
Par sa rédaction, sa mise en œuvre, son détournement par certains distributeurs, cette mesure prise dans une logique de développement durable s’avère donc atteindre le but exactement opposé de celui qui était poursuivi. Capture et conservation de données personnelles, développement de la pollution numérique, impact négatif sur les entreprises de la filière du papier au profit de « solutions numériques » souvent portée par des entreprises qui contribuent en réalité bien peu à la création de richesse nationale… que ce soit d’un point de vue économique, sociétal ou écologique, cette mesure est en réalité dommageable pour chacun des piliers du développement durable. Et si le législateur prenait le soin, avant d’écrire la loi, de réaliser de véritables études d’impact et de s’appuyer sur des données économiques et environnementales avérées ? Les acteurs de la filière répondront avec plaisir aux questions qu’il oublie trop souvent de se poser.